Comment j’ai « accidentellement » gagné la Nomadian 2024

La Nomadian Rhapsobike est, comme son nom l’indique, une aventure à vélo dont l’itinéraire est renouvelé chaque année. En 2024 départ des environs du château de Chambord et destination l’île de Skye dans les Highlands Écossais.

nomadian-rhapsobike.com

A l’approche de l’échéance je suis plutôt serein, ma seule crainte c’est la météo. J’ai l’impression qu’il me manque plein de matériel. Nouvelle veste de pluie 20.000mm, sur-sac de couchage imperméable, etc… Ça coute une peu cher mais ça devrait me permettre d’éviter des nuits d’hôtel aux tarifs totalement prohibitifs.

Je prends aussi une second GPS, une montre qui peut servir de réveil « au cas où », des chaussettes imperméables et des gants permettant de supporter la pluie.

Autre spécificité : les ferrys, il y a entre 2 et… 7 traversés ! Les 5 bateaux optionnels permettront d’économiser une grosse centaine de kilomètres cumulés …mais sous réserve d’arriver dans les créneaux horaires où ils opèrent.


Jour 1 – Le départ fictif et le débarquement

14 Août 2024 – 00h01

KM0 – Nous sommes 54 à prendre le départ. Pour un raison mystérieuse il y a beaucoup moins d’affluence que sur la Desertus Bikus.

Les 260 premiers kilomètres sont comme neutralisés puisque l’on doit presque tous embarquer sur le vaisseau de 14h à Caen-Ouistreham. Nous roulons à 4 de la Beauce à la Normandie pour arriver au port à 11h avec suffisamment d’avance pour un généreux ravitaillement suivit d’un pique-nique à la plage. La fatigue est dors-et-déjà visible sur nos visages. Les 6h de traversé vont nous permettre de renaitre par le sommeil ; avant d’attaquer une deuxième nuit blanche, cette fois-ci dans l’obscurité de la perfide Albion.

Jour 1 | 10h25 – MadCap.cc

KM262 – Je suis parmi les derniers à quitter le contrôle d’immigration. Je démarre tranquillement en m’efforçant de rouler à gauche pour respecter les coutumes en vigueur.

Dans la première bosse je suis dans le sillon d’une quinzaine d’autres nomades. Je ne sais pas trop ce qui me prend, mais j’accélère et je les rattrape tous un à un. Je maintiens la puissance pendant une heure et demi environ et un petit écart se creuse.


Jour 2 – Saucée au Pays de Galles

KM433 – Du port au CP1 : 172km sans pause, j’arrive premier, à 3h du matin avec une heure d’avance sur Rodrigue. Il y a un premier portail fermé puis un second. Je trouve le mécanisme et j’embarque le traqueur dans ma main pour rejoindre le point indiqué : la tour de Broadway, un donjon entouré par les dizaines d’yeux réfléchissants d’un troupeau de cervidés.

Être en tête de course est plutôt euphorisant mais une fois le checkpoint passé l’énergie retombe et je suis un peu sonné. Je décide de continuer ma route en direction du Pays de Galles, sans pause, pour ne pas prendre froid. Cette nuit blanche semble interminable, je deviens très lent.

KM493 – Autour de 7h je dors enfin 10min dans un abri-bus. Rodrigue n’est vraiment pas loin derrière mais j’arrive à reprendre quelques kilomètres en longeant la rivière Wye alors qu’il coupe par les reliefs. Content de mon coup je m’accorde à nouveau 20min de sieste au pied du parcours obligatoire n°1, sur le quai de la gare de Llanwrtyd Wells (ne me demandez pas comment ça se prononce).

Jour 2 | 10h20 – MadCap.cc

KM595 – Obstacle au départ du parcours : il y a des travaux et un ouvrier me confirme que je ne peux pas passer. Je dois suivre la déviation, Rodrigue apparait, arrivant en sens inverse. Nous nous engageons ensemble dans la déviation. Les paysages de la réserve naturelle nous ravissent mais les murs à 25% s’enchainent. La pluie s’invite puis se déchaine. C’est la première correction d’une longue série à venir.

KM633 – Une fois extrait du parcours nous nous arrêtons dans un convenience store, la pluie ne cesse pas. Nous prenons froid c’est éprouvant et inquiétant pour la suite. Je remarque que mon téléphone a été noyé dans une poche de ma veste imperméable et qu’il ne se rallume pas. Autour de 15h30 le déluge se termine et dès la sortie du village nos itinéraires nous séparent… avant de se recroiser à l’improviste 2h plus tard. Je lutte contre le sommeil en interviewant mon compagnon du jour sur ses nombreuses aventures en ultra. La fin de la journée approche, la pluie nous a amochés, : la fatigue commence à prendre le dessus.

KM718 – En labourant Booking.com Rodrigue trouve une chambre avec des lits superposés dans un camping pour « seulement » 70£. 450km après le ferry, cet abri nous accorde 5h de sommeil, une douche chaude et un chauffage métamorphosé en sèche-linge. On oublie le classement et on dort. En revanche mon téléphone ne se rallumera jamais.


Jour 3 – La fièvre du jeudi soir

En repartant un peu avant le lever du soleil, j’apprends que Yoann a profité que nous soyons assoupi pour passer devant. Rapidement Rodrigue a très mal à un genoux ce qui va nous séparer.

CP2 : Stwlan Dam

KM755 – Je croise Yoann avec son allure de guerrier viking au pied du deuxième checkpoint, un barrage perché au milieu des moutons. Il a dormi 3h en bivouac. Une fois redescendu je rencontre Léo, troisième, puis Rodrigue qui, hélas, souffre au point d’envisager l’abandon.

La journée est plutôt ensoleillée je me sens bien physiquement et mon moral est bon. Je cogite en roulant à une stratégie pour trouver un nouveau téléphone car il reste plus de 1300km à parcourir.

KM812 – J’arrive au CP3 en croisant à nouveau Yoann en bas de la descente, l’écart est plutôt constant. Maintenant il y a deux options : passer à travers Liverpool en prenant un ferry ou contourner l’agglomération en faisant 15km supplémentaires ? Contrairement à mon projet initial je décide de passer par Liverpool en quête un smartphone opérationnel.

KM903 – L’accès à Bikenhead, la ville d’où part le ferry pour Liverpool je découvre un terminal maritime en travaux et des messages annonçant que la compagnie opère depuis une autre quai. Problème : je n’ai aucune idée d’où ça peut-être et je n’ai pas accès à Google Maps. Par chance je rencontre un couple sur des gyroroues rapides qui me guident sur 4km et j’arrive 20min avant le départ du prochain ferry. En achetant le billet j’apprends qu’en milieu de journée la traversé dure 30min au lieu de 5min aux heures de bureau. Je met tant bien que mal ce temps à profit en faisant une sieste.

Jour 3 | 15h25 – MadCap.cc

KM905 – Je repars de Liverpool avec un nouveau smartphone pour 120£, 2-3 applications pour communiquer et MadCap pour voir où sont les concurrents. Le trafic est infernal pendant quelques km puis je retrouve des petites routes agréables.

KM954 – L’après-midi est ensoleillée mais je me met à avoir froid, je m’arrête pour me couvrir 2 fois de suite mais j’ai toujours froid. Ma nuque est raide, les muscles aussi. Je fais une pause de 10min pour dormir mais ça ne change rien. Je m’arrête dans un magasin pour manger, ça ne change toujours rien. Le moral s’effondre, je me sens faible physiquement et je me met à pleurer, d’abord par déception. Puis les larmes ne s’arrêtent plus, je roule à 15km/h et de torrents de pensées négatives me submergent « qu’est-ce que je fais là ? », « pourquoi je fais tout ça ? », « je suis motivé par mon égo », « au fond je veux juste faire du vélo tranquillement avec des amis », « pourquoi je gaspille ma vie comme ça ? »…

KM959 – Je me retrouve sur un banc à chercher un hôtel, près de la gare où je me vois déjà reprendre le train, DNF ! Je finis par écouter en moi une voix qui ne veut pas être enfermée dans le confort d’un hôtel. Je suis toujours en sanglots depuis une heure jusqu’à ce que je réalise « tu t’es laissé emporter par les émotions ! » les larmes cessent instantanément et je me répète plusieurs fois « tu t’es laissé emporté ! » choqué par la puissance de la spirale mentale dans laquelle je m’étais perdu !

J’enfourche mon vélo et je redécouvre le parcours que j’avais tracé et je retrouve des repères. A peine reparti je croise Rodrigue, quelle synchronicité ! Sa douleur au genoux à totalement disparue. Une centaine de mètres devant on distingue Léo. Je leur raconte mon moment d’errance mais physiquement ça ne va pas vraiment mieux, mes muscles sont raides et la sensation de froid persiste.

KM990 – Je succombe à la fièvre une heure plus tard au sud de Lancaster où je décide d’aller dormir. La recherche de bivouac est décevante. J’atterris dans une prairie clôturée, discrètement éclairé par l’éclairage urbain. Je sors mon matériel de bivouac et j’enfile tous les vêtements qui peuvent m’apporter de la chaleur. Et la chaleur me fait du bien. La lune semble me dire que ce n’est pas ma faute, mon corps en a décidé ainsi, les astres en ont décidé ainsi, j’appelle ma copine, je lui raconte, ça me fait du bien, tout va bien. Je dors.


Jour 4 – Plus rien à perdre

Je me réveille à l’aube après une longue nuit, je sens que la fièvre est tombé. J’ai besoin de raconter publiquement ce qui vient de m’arriver, je le fais sur Instagram. Très rapidement je reçois plein de messages d’encouragement et des témoignages d’amis qui ont vécu des difficultés similaires. Ça me donne envie d’essayer de repartir et l’espoir de pouvoir repartir. Jules m’appelle en visio très spontanément, il me raconte son expérience de l’Angleterre, tout ce que je vais découvrir en Écosse, il me redonne le sourire.

Je me remobilise autour de 7h après avoir re-téléchargé Spotify et ma playlist avec 10h de Drum&Bass. Miracle, le corps fonctionne très bien, j’ai des forces, il y a des éclaircies. Je n’ai plus rien a perdre. Je n’ai plus la pression du classement. J’approche du deuxième parcours obligatoire dans le Lake District. Ce parcours s’annonce très beau, il y a deux variantes « 2A » et « 2B ». Jusqu’à présent tout le monde s’est engagé dans le « 2B » parce qu’il y a moins de dénivelé.

KM1057 – La soif d’aventure que mes amis ont ravivés me poussent à prendre le parcours « 2A » encore inexploré. C’est une belle trace, je m’amuse sur les singles. Il y aura, par contre, 1.5km sur un sentier au bord d’un lac qui étaient impraticables et pas vraiment pas nécessaires. Je découvre Honister pass puis un second col du même calibre, ces vallées sont magnifiques.

KM1174 – A l’approche de la mer le vent devient très favorable et j’arrive au coucher du soleil en 10ème position au checkpoint n°4. En cherchant de l’eau potable dans la ville de Silloth je vois 3 vélos devant un bar. J’y trouve Daniel, Flavien et Gwennael en train de manger des burgers pendant une soirée karaoké, mais pour moi le ravito se fera au supermarché, pas de temps à perdre.

Jour 5 | 3h05 – MadCap.cc

Je décide de jouer avec le vent en roulant la nuit : le vent est défavorable en arrivant en Écosse mais il devrait chuter dans la nuit. N’étant pas fatigué après la grosse nuit de récupération que j’ai fait la veille, je vais donc tenter de m’approcher le plus possible du checkpoint N°5 avant 8h le lendemain où le vent devrait progressivement s’intensifier. A peine arrivé en Écosse le peloton du bar-karaoké me rattrape on roule sur une grosse route vide. On se sépare vers 2h du matin à Dumfries lorsqu’ils vont dormir chez un golfeur ivre.


Jour 5 – Lowlands to Highlands

KM1396 – Je ne prends qu’une heure de demi de pause devant la porte d’une église-cimetière. Je pars à 5h pour arriver au CP5, Mull of Galloway à 10h30 en 4ème position. C’est un phare signalant la pointe la plus au sud de l’Écosse. Avec un peu de curiosité et moins de nuages j’aurais pu voir l’île de Man au sud et l’Irlande à l’ouest. En chemin j’ai croisé Léo qui était aussi surpris que moi de ma remonté éclaire. Cette journée est riche en éclaircies et propice pour borner. Le vent soutient mon inertie vers le Nord. Le prochaine objectif, à 189km, c’est un ferry que l’on ne peut pas (raisonnablement) contourner. Une passe courte mais qui marque l’entrée dans la région des Highlands. On m’a dit que le dernier bateau était à 22h, c’est faux il y a en a jusqu’à minuit depuis un second embarcadère, mais dans le doute, cette fausse information me pousse à arriver avant la nuit.

Jour 5 | 20h55 – MadCap.cc

KM1584 – La traversé au crépuscule est apaisante, après des heures d’efforts je suis bercé dans le puissant bateau. Une fois de l’autre côté j’ai besoin de repos, je m’allonge dans le premier abri au calme que je trouve.


Jour 6 – Les GPS maudits

KM1588 – 02h30, je visite le 3ème parcours obligatoire de nuit, c’est dommage pour la vue mais c’est stratégique car je vais pouvoir prendre le raccourci par l’île de Mull : un premier ferry, 31km à vélo puis un second ferry pour économiser 25km et 800m de dénivelé par rapport au contournement par la route. Autour de 9h la pluie devient forte et les grosses averses ne s’arrêteront plus jusqu’à l’arrivée !

Jour 6 | 14h45 – MadCap.cc

KM1767 – Une fois la deuxième traversé terminé j’entends crier mon nom. Je retourne sur mes pas et je vois les 3 leadeurs : Léo, Yoann et Rodrigue. Quelque chose d’improbable leur arrive : leurs GPS ont arrêté de fonctionner quasi-simultanément. Je blague « ah ! alors j’ai gagné ?! », ce qui semble les faire rire jaune. Ils perdent beaucoup de temps a essayer de faire refonctionner les appareils et ce sera déterminant car l’arrivée approche. Je leur propose mon GPS de secours mais ils refusent par fair-play. On se disperse : moi en route vers le CP6 qu’ils ont déjà validé et eux vers un hôtel où ils arriveront tout-juste avant la fermeture. La route est somptueuse mais la météo est déroutante. Je dois arriver au prochain ferry avant la dernière circulation, à 21h30.

KM1859 – Je suis de l’autre côté du Loch Linnhe à 21h et je m’arrête sous un abri-bus pour échapper à la pluie. J’ai énormément de mal à prendre une décision pour la suite, j’aurais besoin de sécher un peu mais je dois également acheter à manger pour le lendemain. Je vois que ma mère (qui est anxieuse que je dorme dehors) m’a envoyé l’adresse d’une auberge à 40£ je le réserve aussitôt. En regardant la route je me rend compte qu’elle est en fait au bord du fameux Loch Ness et que ça implique un détour de 60km, j’annule immédiatement. Après avoir gaspillé ces 40£ je décide de ne plus chercher d’hôtel. Il est 21h30 passé et c’est maintenant trop tard pour aller aux supermarchés les plus proches qui ferment à 22h.

Je m’allonge avant d’être rapidement dérangé. Un livreur apporte un charriot rempli de pains pour burgers et de divers pâtisserie. Il le dépose juste à côté de moi sans se méfier de mon manque de denrées. Ça doit certainement partir au pub situé sur l’autre berge avec le premier ferry du matin. Après beaucoup d’hésitations je n’y toucherai pas mais ça me rassure : je ne vais pas mourir de faim. Quelques minutes plus tard je découvre qu’il y a des station service ouvertes 24h/24 sur mon chemin (et la boutique est également ouverte la nuit !)

En route ! Cette déconvenue hôtelière est peut-être l’opportunité de reprendre la première place ? Je me suis peut-être un peu enflammé : après seulement quelques kilomètres sous une pluie battante, l’envie de dormir devient pressante.

KM1873 – Je trouve un très mauvais bivouac à Fort Williams : un abri-bus en ville, sans banc et pas suffisamment protégé de la pluie où je dormirai à même le sol. Mes vêtements sont trempés, je me trouve bien misérable, comment me suis-je mis dans cette situation ? Mon seul espoir pour ne pas avoir froid c’est un couverture de survie …et ça marche !


Jour 7 – L’attaque perfide !

Je dors relativement bien. En partant je garde la couverture de survie sous ma veste pour supporter la pluie combiné avec le fraicheur nocturne et je me dirige vers la station service 24/7 à 2h30 pour acheter à manger. Je sacrifie 23£ en échange des deux derniers sandwichs végétariens, d’œufs durs, de 400g de chocolat Cadbury, d’un sachet de Skittles, noix de cajou, cacahuètes, Oreos. A 3h je me lance dans une attaque perfide au cours de laquelle je vais surprendre le trio de tête et arriver en première position au CP7.

Jour 7 | 9h05 – MadCap.cc

KM1945 – C’est un lac isolé, l’aube est calme et je suis heureux d’être là, en contemplation devant la nature Écossaise. L’arrivé se profile. Pour accéder au dernier CP sur l’île de Skye il a deux options : 135km de route goudronnée en passant par le pont et l’option « expédition » beaucoup moins roulante de 81km : hike-a-bike, « gravel » et un court ferry. Ma curiosité fait basculer mon choix vers l’aventure tout-terrains et qu’importe le classement. J’imagine que les poursuivants prendront surement l’option route pour me doubler.

KM1955 – Après une route qui serpente jusqu’au niveau de la mer je m’engage sur une piste, passe un premier portail qui indique « public path to [quelque part], follow the trail » : c’est plutôt rassurant. C’était marqué sur Komoot que c’est une section randonnée et qu’il ne fallait pas espérer monter ce passage à vélo. Effectivement il y a des pentes caillouteuses à plus de 30%. Une fois en haut, 250m plus haut, je m’attends à des chemins praticables car le profil de dénivelé semblait progressif de ce côté. C’est beaucoup plus compliqué que prévu : le sentier se révèle être totalement détrempé et plein de petits pièges. La roue s’enfonce dans les flaques que je suis le premier à sonder. J’ai des pneus de route 30mm gonflés à 5bars et le terrain est déstabilisant, alternant terre meuble et cailloux glissants. Je passe une bonne partie du temps à marcher.

KM1959 – Je traverse de nombreux petits ruisseaux jusqu’à arriver face à un premier torrent qui est plus profond. Il y a malgré tout un sentier visible au fond de l’eau. Je prends mon courage à deux mains et je porte mon vélo suffisamment haut pour ne pas inonder les sacoches. J’ai de l’eau au dessus des genoux, petite montée d’adrénaline mais ça passe ! Je me dis qu’à défaut de gagner j’aurais palpé l’essence et la rigueur de la nature écossaise.

KM1961 – Quelques minutes plus tard j’arrive face a un second torrent. Je ne sais pas par où l’aborder, mais, ayant pris confiance de ma capacité à franchir cet obstacle, je me lance. Cette fois, c’est au moins aussi profond mais je marche sur de grosses pierres glissantes. Arrivé au milieu le courant est trop fort, je glisse et je rattrape mon vélo in-extremis, puis je glisse à nouveau plusieurs fois en criant « non ! » avec autorité avant d’atteindre la berge dans une lutte éprouvante. Une fois sur la terre ferme je réalise que j’ai eu peur pour ma vie, j’ai senti la force de l’eau surpasser la mienne. Je me suis vu partir dans les flots. Ça aurait pu être catastrophique. Je n’ai plus envie de jouer, ma seul volonté est de retrouver la route au plus vite et j’espère que personne d’autre ne passera par là.

KM1966 – Rapidement le chemin devient plus lisible et les deux traversés de rivières restantes se font sur des ponts où c’est marqué « use at your own risks, strictly no horses ».

Après quelques passages trop raide pour être descendus avec mon vélo de dentiste, la piste devient enfin roulante et rapidement je bifurque sur une belle petite route côtière offrant une vue dégagée sur une baie secrète.

KM1976 – Dès que mon téléphone capte je prends une minute pour regarder où sont mes concurrents. A ma grande surprise ils sont passés par le même chemin que moi et l’écart est resté le même depuis qu’ils sont parti ce matin, environ 45min. Je fonce, porté par un vent de sud très puissant, vers le septième et dernier ferry, celui qui me déposera sur l’île de Skye.

KM1990 – Je débarque sur l’île à 12h30, le vent et le averses sont omniprésents, on passe de 45km/h vent dans le dos à moins de 15km/h vent de face. La pluie fouette la peau, on ne voit pas grand-chose, les éléments se déchaînent mais je reste concentré sur mon objectif, pensant que je peux être rattrapé à tout moment.

KM2032 – J’arrive au huitième et dernier checkpoint avec une avance confortable car Rodrigue, Léo et Yoann se sont arrêté pour se ravitailler. Le CP8 est conquis avant 16h, en fond l’île de Rum arrosée par des nuages ténébreux et une mer tempétueuse vidée de tout bateau. Je relâche la pression pour les 60 derniers kilomètres durant lesquels je regarde les contrastes créés par les courtes éclaircies et l’obscurité des averses incessantes. Les trois dernières heures passeront très vite (mais après tant d’heures sur le vélo ma perception du temps était faussé). En arrivant dans la ville terminus, Portree, absolument tous les bed&breakfast et guesthouse indique « no vacancies » : complet. Une autre galère se dessine : il sera impossible de trouver un hôtel donc compromis de rester pour la bonne ambiance promise à l’arrivée.

KM2098 – Je suis accueilli à Portree en premier finisher après 6j et 20h, on m’offre le déguisement de vainqueur : un kilt vert et bleu, assorti à mon fidèle Cervélo. Je soulève le vélo avec mes dernières forces avant d’aller trouver refuge dans un restaurant. Les 3 valeureux poursuivants arrivent 2h plus tard, on se retrouve et on se félicite mutuellement.


Humilité, persévérance et magie

Je suis conscient que l’arrivé s’est joué à très peu de choses, en ultra il y a tellement de paramètres qui peuvent faire basculer une course…

Ça aura été pour moi une leçon d’humilité : même quand on se sent fort c’est le corps qui décide si on peut continuer ou non. Une leçon sur la persévérance : je suis passé proche de l’abandon alors que j’avais encore des ressources. Je garde aussi dans un coin de ma tête les questionnements que j’ai eu. Et enfin ce fut un enseignement sur le pouvoir magique des encouragements, je n’aurai pas su repartir avec enthousiasme sans le soutien que j’ai reçu quand j’étais au plus bas. Merci !

*2100km sans compter les ferry

Félicitation et beaucoup de respect à tous le participants, c’était une épreuve très relevée. Merci au shérif Yvan et à son équipe pour son organisation. Merci à toi lecteur 🙂